Une rétro comme un doigt posé sur une sombre partie de l’Histoire de France. Le déserteur est écrite en 1954, alors que la France se perd à Diên Biên Phu et que se prépare la guerre d’Algérie. Cette chanson de Boris Vian reste encore aujourd’hui, près de 60 ans plus tard, un symbole pacifiste et antimilitariste auquel la censure de l’époque a servi la légende.
Reprise depuis par de multiples interprètes, Le déserteur s’inscrit dans un contexte historique fort, un ras le bol de la fatalité de la guerre quand toutes les familles de France se trouvent touchées par le « Cancer Algérien ».
Boris Vian s’adresse au Président, avec la virulence d’un homme convaincu, et se permet de l’interpeler par ses vers qui frapperont si fort « S’il faut donner son sang, allez donner le vôtre, vous êtes bon apôtre, Monsieur le Président ». Il appelle clairement à la désertion, chose insensée à l’époque, en conjurant son auditoire de ne pas obéir « Refusez d’obéir, refusez de la faire, n’allez pas à la guerre, refusez de partir ».
La chanson est diffusé pour la première fois en 1954, et choque par son propos antimilitariste. Le scandale éclate rapidement, et Paul Faber, alors conseiller municipal de la Seine obtient l’interdiction pure et simple de la chanson. Boris Vian répondra par une lettre mémorable qui contribuera à grossir l’impact de sa chanson:
« Ma chanson n’est nullement antimilitariste mais, je le reconnais, violemment procivile. (…) D’ailleurs mourir pour la patrie, c’est fort bien ; encore faut-il ne pas mourir tous – car où serait la patrie ? Ce n’est pas la terre – ce sont les gens, la patrie. Ce ne sont pas les soldats : ce sont les civils que l’on est censé défendre – et les soldats n’ont rien de plus pressé que de redevenir civils, car cela signifie que la guerre est terminée ».
Reprise et/ou adaptée par Mouloudji, Serge Reggiani, Joan Baez ou encore Renaud, cette chanson reste intemporelle et figée dans notre Histoire comme le témoignage d’une génération meurtrie par la barbarie, qui refuse d’en devenir l’acteur. « Depuis que je suis né, j’ai vu mourir mon père, j’ai vu partir mes frères, et pleurer mes enfants ».
La fin de la chanson sera modifiée devant le trop-plein de rage mis par Boris Vian dans son texte. Les trois derniers vers originaux donnaient un tout autre sens à l’engagement de l’artiste: « Prévenez vos gendarmes, que j’emporte des armes, et que je sais tirer… ». Cette conclusion abrasive sera mise de coté pour accentuer le coté pacifiste et « procivile », mais elle veut bien dire ce qu’elle veut dire, le message est passé
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Le Texte:
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter
Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens:
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer