Sorti en 2002, soit à peine quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center, l’album double God Blesse – Katagena réveille toujours d’étranges échos en moi. Second album de Saez, album double, design épuré, chansons rock alternant avec chansons plus calmes et morceaux de piano, cet opus est une sorte d’ovni, qui mérite bien une chronique à quatre mains.
God Blesse – par Isa
L’album commence fort par J’veux du nucléaire et Solution, titres violents qui remettent en cause la jeunesse amorphe, la société. Damien cherche à mettre un coup de pied dans la fourmilière. Les textes sont rageurs, un peu désespérés aussi, de cette jeunesse qui reste à glander devant la télé, alors que le monde part à vau-l’eau autour d’elle. Les premiers vers me font penser à Jack Kerouack et sa « beat generation », sa génération foutue :
Qui pensait qu’à rêver
De drapeaux blancs
_ Après ces cris pourtant, le disque devient plus calme, et j’ai tendance à m’ennuyer assez vite sur les instrumentaux, heureusement qu’il y a quelques chansons qui me touchent beaucoup pour raviver mon intérêt à intervalles réguliers.
So gorgeous est la chanson d’amour que j’aurais aimé qu’on écrive pour moi. Premier mélange de l’anglais et du français dans une chanson de Saez, on pourrait s’attendre à ce que ça jure mais je trouve que c’est bien réussi.
Toi, tu seras ma religion
_ Ces deux lignes ont suffi à me faire adhérer à la chanson, à laquelle je n’avais lors de la première écoute prêté qu’une attention modérée. Ça a d’ailleurs valu à mon pauvre CD de passer quelques temps bloqué sur cette chanson, pour que j’en sois enfin rassasiée, et que je passe au reste de l’album.
Comme si la belle aventure de la piste précédente n’avait été qu’un mirage, le couple d’amoureux se retrouve pour une dernière fois dans No place for us. Puisqu’ils ne trouvent pas leur place dans ce monde, puisque c’est perdu d’avance, puisque seul l’argent compte, puisque la seule issue semble être la mort, alors ces deux-là l’acceptent, plutôt que de renier ce en quoi ils croient.
Le registre devient beaucoup plus cru, avec Sexe, Saez se lâche. Et ça fait drôle, quand on n’est pas prévenus ! Titre explicite, paroles à l’identique, sur un rythme un peu dancefloor. Reprise par Brian DePalma pour la scène du striptease de son film Femme fatale, la chanson pourrait aussi bien s’adresser à un homme qu’à une femme, de la part d’un homme comme d’une femme. Un coté un peu pervers s’exprime, mélange de haine et d’amour, la jouissance atteinte uniquement à travers un soupçon de douleur.
Saez reparle ensuite de la mort, annonçant J’veux qu’on baise sur ma tombe. Hymne au désespoir, cette chanson m’a longtemps accompagnée à l’adolescence, dans les moments de doutes et les coups de cafard.
Façon poète maudit, Saez parle de sa mort, et parle à sa belle, lui laissant ses dernières volontés. Il regrette de partir, et en même temps c’est un soulagement, une sorte d’accomplissement. Un dernier regret, celui de n’avoir pas assez aimé, ou de ne l’avoir pas assez montré :
Comme on aime le soleil
Te dire que le monde est beau
Et que c’est beau d’aimer
J’aime cette chanson, pour la tristesse qu’elle dégage, pour l’amour, pour l’espoir aussi, et pour la rage, l’envie d’en découdre à la fin, dans les « au revoir » surgissent A nous deux Satan, A nous deux la lumière. On voit la lumière, elle ne semble pas être synonyme de fin mais plutôt de début d’un nouveau combat, point de dieu mais un diable, avec lequel il faut aller se colleter, plutôt lutter que renoncer.
Après une chanson pareille, le reste m’a toujours paru fade, même en faisant des efforts. Perfect World me réveille un peu, les arrangements sont moins soporifiques, et puis entendre parler d’un monde parfait où personne ne meurt, c’est toujours bien, ça fait rêver…
Dernière piste, Light the way, Saez s’adresse toujours à son égérie.
I know the road that you leads me home
So don’t be scared you’re not alone
Il n’arrivera pas seul à faire vivre leur amour, elle doit l’éclairer sur ce chemin dont on ne voit pas le prochain pas à faire. Il faut parcourir ce chemin à deux, et c’est tant mieux, car c’est à travers l’autre qu’on arrive à se (re)trouver.
Katagena – par Cassiopée
Décidément, cet album est un pari fou ! Katagena a de l’acoustique à ne plus savoir qu’en faire, du piano… Selon moi, dans ce CD, on sent, on comprend le génie de l’artiste.
La première piste débute avec de l’instrumental Thème I – Intro Un peu plus d’une minute pour cette amuse bouche avec une mélopée envoutante et un vent en fond sonore telle une tempête sibérienne. Dans son prolongement, s’ensuit (sans surprise) le Thème I où dès le départ, le piano s’emballe un peu, les cordes viennent s’ajouter à la ritournelle… Puis, comme un assoupissement, le piano s’endort peu à peu pour ensuite mieux revenir et éveiller nos sens. J’ai toujours trouvé ce thème non pas long bien qu’il dure 16minutes mais enivrant à souhait. Chaque note est mesurée pour mieux appuyer l’intensité qui s’échappe de ce morceau, une intensité à attraper au vol car elle parait fragile, évanescente.
Après cet interlude classique, nous revoilà dans le pays de l’amour.Isn’t love I et la voix lancinante de la demoiselle. Le questionnement sur l’amour, une plainte langoureuse… Thème universel repris encore et encore. Ça parlera à chacun à un moment ou à un autre.
That we are feeling ?
Isn’t it love
That I feel ?
_ Nous revenons ensuite avec deux titres forts en émotions : Les condamnés et A ton nom.
_ Les condamnés, c’est la fuite de deux amoureux au temps des rois, pour rejoindre ensemble la liberté. On peut y voir aussi une allusion à Roméo et Juliette de Shakespeare que tout sépare et pourtant s’aiment, désirent être ensemble et espèrent… L’amour est éternel, à jamais inscrit, et il faut continuer de chérir cette flamme.
Dès les premières notes d’A ton nom, mon souffle a tendance à s’apaiser comme pour profiter au maximum de cette chanson.
Ce «Hallelujah, Inchh’alla» susurré au milieu de cette prière funeste relève du souffle divin.
Alors là, j’aurai du mal à vous expliquer pourquoi mais, Saint Petersbourg est une chanson que je chéris et qui pourrait me faire pleurer… Pourquoi cette chanson me parle tant ? Pourquoi j’ai toujours fait repeat quand elle passait ? Pourquoi je ne pouvais pas l’écouter pendant un moment ? Pourquoi en cette Olga pleine d’espoir je me retrouve un peu ? Pourquoi ..? Il y a toujours de l’espoir en ce bas monde, et malgré tout ce qui nous entoure, continuons de croire en l’Homme même si « nous ne sommes pas maîtres en la demeure ».
Massoud pose les réalités du monde… Aucun mensonge, juste des vérités plaquées révélant de nouveau que notre société est un beau bordel empli de mensonges à tout va. Une chanson engagée qui sera plus ou moins passée inaperçue malgré un message très fort.
_ God bless America
Dans la continuité de Les condamnés, nous trouvons Les Hommes et cette marche, ce rêve… J’ai toujours eu du mal avec ce morceau que j’ai tendance à trouver trop geignard… Malgré cela, les paroles sont à la hauteur, mais j’ai beau faire je n’accroche pas vraiment.
Alors, Usé me réconcilie de suite ! Cette chanson prend toute son ampleur en live. L’énumération des maux de la terre, ces maux qui tournent et se répètent sans cesse entrainent une voix rageuse. Constat affligeant qui « fait mal au cœur » mais représente la pensée de tout un chacun à un moment T. Et pour finir, les célèbres lalalalalala qu’on chante à tout rompre !
Calmons-nous, calmons-nous ! Voici la mort – Intro et Voici la mort ; sont les bienvenues. Comme on l’aura remarqué dans cet opus, on parle beaucoup d’amour et de mort ! On nous invite à « trinquer » à l’amour, à la mort, à Alger, à Sarajevo, à Pékin, aux droits de l’homme… Éveil des consciences demandé !
Pour conclure ce double album, après avoir dû écouter toutes ces chansons, nous arrivons à Menacés mais libres. Ce couple aura donc réussi à s’échapper du joug de leurs tortionnaires même si pérennise la peur d’être retrouvé. Ils sont fiers d’eux, même s’ils sont en marge, seuls, ils sont ensemble et nous rappellent qu’il faut, nous aussi, y croire.
N’oublions pas que cet album a été suivi d’un EP contenant Connection, Introduction, Neige a Varsovie, L’envol, La liberté, La chute , disponible sur le net encore aujourd’hui.
2 commentaires
Merci Saint Epondyle 🙂
On était deux pour la chronique à l’époque, c’est marrant que tu lises encore nos vieux articles :p
Magnifique écriture pour un album plus qu’exceptionnel.
Bravo.