« Les mots comme des métaux, c’est mon fond, ma forme / Flow, métaphores, que je manie comme le feu, la forge / Ils ont partagé l’Afrique à l’équerre, à l’écart / Dans mon quart ou dans mon tiers de monde devenu ma terre / J’ai trop pleuré quand mon peuple a perdu la raison / Ce sont mes larmes qui ont rempli tous les Grands lacs de la région… »
C’est avec cette chanson intitulée Hope Anthem que j’ai découvert les mots et surtout la poésie d’Edgard Sekloka et Gaël Faye. Milk Coffee & Sugar, c’est le couple qu’ils forment derrière le micro. Entre la France et l’Afrique, l’écriture et le Hip-Hop, l’activisme et la musique, ces deux poètes domiciliés à Paris ont décidé de mettre leur savoir-faire en commun et de livrer ainsi, il y a quelques semaines, un premier projet qui laissera des traces.
Ces deux amoureux des lettres étaient fait pour se rencontrer. Animés par un goût prononcé pour l’écriture (l’un a fait des études de lettres axées vers le théâtre, l’autre a débuté très jeune dans le rap jusqu’à se retrouver à l’âge de 16 ans sur le label Squate Sqy…). La rencontre s’est faite dans les années 2000 sur la scène slam parisienne lors du spectacle En marchant vers le soleil tiré de l’album d’Apkass, une pièce autour du génocide rwandais.
Le Rwanda, Gaël le raconte aussi sur ce disque comme personne. Originaire « du pays des milles collines », celui qui chante « L’Afrique je l’ai en moi et je chante pour sa mémoire » dresse un portrait très émouvant de ce terrible événement de l’année 1994. Sur une mélodie jouée à la guitare, Gaël évoque son pays, le génocide, mais aussi les souvenirs qui ont marqué son enfance : « J’ai des mots. J’ai pas que des maux, j’ai aussi mes souvenirs en couleurs de quand j’étais môme« . Et le refrain porté par la voix de Jali qui, pour le morceau, chante en Kinyarwandais, vient sublimer ce cri d’amour lancé envers sa première terre d’accueil. La qualité des textes, la poésie et la force qui se dégage de ce titre m’a réellement noué l’estomac et serré la gorge.
Tout ça m’a poussé à découvrir ce que renfermait le reste de l’album.
Car Milk Coffee and Sugar parle d’Afrique bien sûr mais pas seulement.
Le disque aborde une multitude de thèmes d’actualité, comme les banlieues où le premier morceau Alien se veut comme une réponse plus contestataire au titre Banlieusards de Kery James, la situation en Haïti avec Restavec, une métaphore qui compare le comportement du monde envers ce pays avec ces enfants-esclaves qui vivent sur l’île…
Edgard et Gaël poussent à nous faire réfléchir sur notre monde, notre société, l’uniformisation de la pensée, des personnes, les débordements du capitalisme et ce ne sont pas des titres comme Parce Que qui diront le contraire.
Du slam qui prend des allures de hip-hop engagé et intelligent qui sème aussi ses notes d’espoirs et de rebellions tout au long de l’album comme Rise Up (featuring Tumi And The Volume quand même !) : « Changer les choses, à son niveau / c’est faire une croix sur l’océan, se concentrer sur ses gouttes d’eau !« .
Critique acide de notre société, Un Peu De Musique, proposée sur un beat lourd joué au piano et à la guitare électrique, laisse ces deux poètes du quotidien se mettre à la place d’un je-m’en-foutiste qui énumère les travers de notre monde : « Me propose pas un appart’, je suis déjà bien loti / je crèche dans les hôtels au dessus des tentes des sans-abris ! »
D’ailleurs ce qui est intéressant en écoutant cet album c’est le fossé entre les images qu’ils nous renvoient de l’Afrique loin des clichés misérabilistes que nous pouvons tous tenir sur le sujet et celles de l’Occident, pourri et gangréné par la pauvreté culturel et la course au pouvoir, entre autres.
Entre jazz, soul, funk, rock… la musique s’adapte à la voix et aux thèmes abordés par les MC’s. Du slam sur Je Vis ou A La Ma’ on passe, sur la fin de l’album à un hip-hop pur et dur avec Big Bang et Allumez Les Briquets. Un travail exigeant qui place ce premier projet au sommet des productions actuels. Encore un coup de cœur qui va tourner dans mes oreilles pendant quelques temps, je crois… « Je n’accepterais jamais les règles qu’ils ont fabriqué / Je n’accepte que les rêves que mon cœur veut abriter« .
Tracklist :
- Alien
- Pré?vu, pas pré?vu
- Rise Up (Ft Tumi & The Volume)
- Un peu de musique
- Café zè?bre
- Premiè?res fois (Ft Beat Assailant)
- Elle(s)
- Je vis
- A la Ma?
- Hope Anthem (Ft Jali)
- Parce que
- Big Bang
- Allumez les briquets
- Restavec
- Croire en nous