Du plaisir et des légendes

Je regrette d’avoir loupé la navette de Camaret hier soir, je n’ai pas vraiment dormi. Au jour, la vue tient ses promesses : le parking donne sur le grand large. J’arrive sur le site en fin de journée, bien remontée, en me disant : « je vais voir Mahmoud Ahmed » mais presque toute l’affiche de la journée me plaît.

Omar Pene et le Super Diamono

On peut dire que c’est une vieille connaissance. Quand j’habitais le Sénégal à la fin des années 80, c’était LA star de la musique sénégalaise, Il était là bien avant Youssou, bien avant la bouillie worldmusicienne enregistrée à Babylone. Ce bonhomme est une légende : enfant des rues de Pikine, un quartier populaire de Dakar, petit talibé pris en charge par la confrérie des Mourides, il s’est fait griot à la force du travail, du talent et de l’intégrité morale et musicale. On dit maintenant qu’il a inventé l’afro-feeling mais moi, je vous dis qu’il fait du M’balaxx et qu’il en a toujours fait. Il porte un grand boubou bleu pervenche et c’est un plaisir de le voir encore aussi beau et chanter les thèmes qui lui sont chers : la misère, l’injustice et l’espoir qui habitent la jeunesse sénégalaise. A part l’accordéoniste qui fera un solo complètement faux, les musiciens sont fantastiques et enflamment très vite le public, alternant balades et M’balaxx. Il y a des sénégalais qui font le show devant la scène et entraînent tout le monde, le djembé sonne comme jamais. Je ne me rappelle plus comment on dit « une autre » en wolof !

Les Ethiopiques – Alemayéhu Eshete

Prenez un groupe de jeunes morbihannais, passionnés de musique éthiopienne, le Badume’s band, une star des années soixante-dix, surnommé le « James Brown africain » , Alemayéhu Eshete, et c’est parti pour une heure de soul et de rock, assaisonnés à la sauce d’Addis- Abeba. Pour tout dire, je suis un peu déçue puisque je croyais voir tout de suite Mahmoud Ahmed, mais c’est pour tout à l’heure. En tous cas, ça met une ambiance très bon enfant, on chante des refrains dans une langue mystérieuse en tapant dans les mains. Au premier rappel, je bouge, j’entends que ça se prépare sur la grande scène et je veux être devant.

Tony Allen

S’il y a bien un musicien légendaire, c’est lui ! Inventeur de l’Afro-beat avec Fela avec qui il a joué pendant plus de vingt ans, il nous revient avec un nouvel album secret agent et une tournée. Il a atteint une sorte de perfection dans son jeu et c’est sûr et certain, personne sur cette planète ne peut le prendre à la batterie en afro-beat ; c’est un régal de le voir déployer tout son talent, presque immobile, lunettes noires. Il dirige pourtant ses musiciens qui ont le regard braqué sur lui, il annonce chaque morceau, comme on faisait dans le jazz il y a très longtemps. Avec l’afro-beat, faut l’admettre, celui qui ne danse pas, c’est qu’il est malade ou même pire ! En tous cas, ce public là est bien vivant et quand Ibrahim Maalouf vient pour un solo avec sa trompette, c’est la folie ! La fin arrive beaucoup trop vite, les festivals sont un peu frustrants par moment, une heure, ça n’est pas assez pour un musicien comme ça.

DJ Click

Un ami m’avait fait écouter quelques morceaux de DJ Click mais je n’avais pas trop accroché. Je ne m’attendais certainement pas à ça, une heure de joie extrême, les mains qui brûlent à force de les frapper. Son groupe d’abord : un percussionniste du Rajastan aux tablas, une chanteuse sarde, un violoniste et un saxophoniste roumains, tous d’un niveau incroyable avec un plaisir de jouer ensemble qui rejaillit sur le public qui se presse ; il y a foule jusqu’au fond du champ. Des farandoles s’organisent, à la demande de DJ Click, je dois dire. Le set passe comme un éclair, les gens ont tous le sourire jusqu’aux oreilles. C’est ma découverte du festival, si vous avez l’occasion de les entendre, n’hésitez surtout pas !

Les Ethiopiques – Mahmoud Ahmed

J’ai entendu pour la première fois eré mela mela sur Radio Nova il y a vingt-cinq ans et c’était déjà une chanson qui avait dix ans. Depuis plusieurs mois que je sais qu’il nous rend visite, j’en parle et tout le monde me dit : « c’est qui » ? Et bien aujourd’hui, je réalise que nous sommes des milliers à l’attendre, à crier : « Mahmoud ! Mahmoud ! » en frappant dans nos mains. Je l’avoue, j’ai eu les larmes aux yeux quand il est entré en scène, magnifique vieux dans son habit traditionnel blanc, et qu’il a commencé à chanter. Sa voix n’a pas changé, puissante, profonde et les ans n’ont pas émoussé son plaisir, ses yeux brillent de voir la ferveur des spectateurs. Quand il reprend eré mela mela, le drapeau éthiopien et le drapeau breton s’élèvent, côte à côte, l’émotion est intense, tout l’esprit du festival est concentré dans ce moment magique. Quand ça s’arrête, je me sens incapable d’écouter autre chose, je suis trop bouleversée. Je pars seule dans la nuit. J’ai vu Mahmoud Ahmed.

C’est un caillou battu par les vents d’ouest mais les étoiles sont là ce soir pour nous donner leur lumière. En marchant, je pense à l’Éthiopie, notre mère à tous.

http://www.festivalduboutdumonde.com/

Omar Pene
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Mahmoud Ahmed