La violence comme seul moyen de subversion. C’est ce que semble confirmer cette nouvelle formation, fraîchement débarquée dans le milieu hip-hop et nommée Death Grips, grâce à un premier album signé chez Epic Records (filiale de chez Sony) et griffé du nom de The Money Store.
Dans une interview consacrée à ce groupe originaire de Sacramento en Californie et publiée sur www.fuckinghater.com, l’auteur fait l’annonce de son sujet en ouvrant sur une citation du philosophe Thomas Khun à propos du concept de « paradigm shift » et des bouleversements des sociétés humaines, tiré de son ouvrage La Structure des Révolutions Scientifiques.
Mieux à même d’expliquer ce concept, Véronique Bedin et Martine Fournier, dans un article paru en 2009 dans La Bibliothèque idéale des sciences humaines, résument cette idée : « Pendant des périodes stables, la discipline scientifique se développe, organisée autour d’un paradigme dominant, sorte de cadre théorique auquel adhère la communauté scientifique du moment. Cette période de stabilité permet une croissance régulière et cumulative. (…) Si la communauté ne peut plus résoudre les anomalies de plus en plus nombreuses, c’est alors la crise qui peut déboucher sur cette fameuse révolution scientifique. Le nouveau paradigme produira de nouveaux cadres de recherche, de nouveaux outils et sera en contradiction avec l’ancien.« .
En observant l’agitation générale que provoque le groupe ces derniers mois chez les professionnels et les amateurs, on comprend mieux alors le parallèle entre Khun et le nouveau paradigme que représente Death Grips. Si la blogosphère emploie déjà (encore ?) le terme de « révolution » depuis leur première mixtape, Exmilitary, parue en avril 2011, on se retrouve aujourd’hui, avec The Money Store, bien obligés d’admettre que la bande a réussi en tout cas, à bien foutre le bordel et faire entendre sa voix.
Depuis quelques années en Californie, le hip-hop semble prendre un nouveau tournant. En 2008, le crew qui envoyait se faire foutre tout et tout le monde via des textes monstrueux et nihilistes au possible, Odd Future, avait ouvert la voix à une musique hip-hop noire et glaciale qui dépassait de loin le cadre de l’horrocore ou de l’illbient. Mais voilà, l’emballement est lentement retombé suite à de trop nombreuses expositions médiatiques et au sentiment que le OFWGKTA n’a pas su exploiter ou tirer parti de cette originalité en voulant malgré tout, garder un pied dans le « rap game » (même si elle reste l’une des formations les plus excitantes de ces dernières années). Et voilà qu’il y a quasiment un an maintenant, une nouvelle formation fait son apparition sur le net via quelques video clips flippants où le malaise n’est jamais très loin, tous signés Death Grips. Sur ces vidéos on voit alors apparaitre un emcee, grand black, barbu et tatoué, gueuler avec l’énergie d’un punk ou d’un condamné à la chaise électrique des textes dégueulasses sur le sexe et la mort, dont The Money Store se fait aussi le support.
En fouinant un peu à leur sujet, on se rend compte que derrière le rappeur MC Ride (Stefan Burnett de son vrai nom), se cache une autre figure, plus reconnaissable cette fois-ci, en la personne de Zach Hill. Batteur chez Hella et tout un tas d’autres groupes de rock indépendants, ces deux voisins résidant à Sacramento, à force de séances de fumette et de répétitions dans la baraque de leur pote à Oak Park, ont fini par donner naissance à Death Grips. Un projet aussi bien musical que visuel, toute la partie graphique (pochettes, vidéo clips, site web…) étant développée par Flatlander (Andy Morin), producteur et Zach, qui est aussi batteur, beatmaker, producteur, programmateur (aujourd’hui la formation est augmentée de Info Warrior et Mexican Girl).
The Money Store reprend donc le même mode de fonctionnement que Exmilitary et on retrouvera à l’intérieur de ce disque les même thématiques qui ont nourri leur précédente mixtape. Leur musique décrite comme « Raw. (…) Post-Christian, Post-Satan » (« Brute. (…) Post-Chrétien, Post-Satan« ) sert de catharsis à tout ce que l’être humain possède de plus noir et de plus vil en lui : » The point is to help ourselves maintain, by generating raw energy and (…) to maintain our mental health. » (« L’idée c’est de nous aider à nous maintenir, en produisant une énergie brute (…) et maintenir notre santé mentale. ») On l’avait déjà remarqué sur l’un de leurs premiers morceaux Beware, où Zach Hill et sa bande n’ont pas hésité à mettre en guise d’introduction un discours prononcé par Charles Manson lui-même sur le sens de la vie. Le groupe est capable d’aller très loin, de recracher après mastication un hip-hop morbide et chaotique qui n’en est déjà plus. Que ce soit à travers les textes de Get Got, Bitch Please ou encore The Fever (Aye Aye), on nous décrit de la plus noire des façons cet environnement décadent et sans espoir qui nourrit les 13 morceaux de l’album.
Encore une fois, l’intention semble dépasser le simple exercice de style. Leurs thèmes sont inspirés de : « human nature, deceit, sex and death » (« la nature humaine, la tromperie, le sexe et la mort« ). Chaque membre du groupe possède sa propre histoire et son propre vécu qu’ils ont chacun catalysé dans leur musique.
On pense alors au punk, le physique de MC Ride (tatouages sataniques et pentagramme dessiné sur le corps) et son flow, oscillant entre rap et grosse gueulante, mais tout de suite les productions nous laissent réviser notre jugement. Lost Boys, qui nous réduit littéralement le crâne en bouillie à force de basses abrasives et de sonorités électroniques les plus assourdissantes possibles, Blackjack ou encore The Cage qui s’écoutent dans la même optique. Même parmi les musiques les plus extrêmes on n’avait pas ressenti pareilles secousses et déflagrations (pourtant Zach Hill et MC Ride sont de vrais passionnés de black metal). Entre hip-hop, expérimentations électroniques, « industrial music » et énergie punk, primal et viscéral, on trouve dans The Money Store certainement les plus avant-gardistes du genre.
C’est sur ces deux niveaux que se joue la violence, la « révolution » dont on nous parlait tout à l’heure. Death Grips fait éclater tous les codes du genre, même les plus extrêmes pour creuser son propre sillon. De là à imaginer que dans les prochains mois apparaîtront un peu partout des clones de Death Grips… Internet nous a habitué à voir sortir de l’ombre des noms prometteurs et les y faire replonger tout aussi rapidement. Un troisième album est prévu pour les mois à venir, on l’attend de pied ferme, les dents serrées et la bave aux lèvres.
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