Kickblast a débarqué sur internet il y a plus d’un an avec un premier clip intitulé Johnny Est Mort (voir la chronique sur Désinvolt ici). Entre les productions électroniques d’Arnaud Herry (James Digger) et les textes ciselés et sans ratures de Goulven Le Gall (Bonbec), ils accompagnent une musique hip-hop qui tend depuis quelques années à verser dans l’électro. Avec Kickblast, les deux bretons vont au-devant de cette mutation en poussant le concept jusqu’au bout, quitte à déstabiliser l’auditoire de temps en temps. Depuis Johnny Est Mort, d’autres clips ont fait leurs apparitions sur internet, leur nouveau laboratoire, attrapant au passage dans leurs filets une petite communauté de fans toujours impatiente de visionner la suite. Nous aussi on était impatients de les rencontrer.  Avec eux, on a parlé du hip-hop en Bretagne, de leur vision du rap après plus de quinze ans de carrière et de musique tout simplement.

Vous voyez la Bretagne comme une « terre de rap » ?

Bonbec : Si on entend « terre de rap » au sens : « est-ce qu’il existe une scène hip-hop en Bretagne ? » alors non. Le rap est arrivé en France au début des années 80. C’est dans les grands ensembles urbains que ça s’est développé en premier. Il y a quinze ans, lorsqu’on a commencé  ici, il n’y avait rien. Maintenant, il existe des rappeurs et des groupes comme Micronology à Rennes, 187 à Brest qui sont quand même connus. Par contre il n’y a pas une « scène hip-hop » en Bretagne comme on peut l’entendre partout ailleurs. Ce qu’on peut dire par contre, c’est qu’aujourd’hui le rap est implanté ici et que des groupes sont reconnus. Mais dans tout mouvement je pense que c’est comme ça, ce sont d’abord les groupes qui émergent et ensuite se développe une scène autour d’eux.

Est-ce que dans la région, les rappeurs ne souffrent pas d’un manque de crédibilité ?

Bonbec : Par rapport à l’image de la Bretagne tu veux dire ?

Oui. Est-ce que les rappeurs sont moins reconnus par les autres, basés dans des grandes villes où l’activité est plus forte ?

Bonbec : Est-ce que le rap c’est forcément du béton ? Si les gens pensent comme ça c’est complètement idiot. Un groupe comme les White Stripes par exemple, qui sort du trou du cul du monde, a révolutionné le rock à un moment où tout le monde pensait qu’on ne pouvait plus rien inventer.

Vous ne souffrez pas d’un manque de crédibilité ?

Bonbec : La crédibilité pour nous aujourd’hui, c’est les quinze ou vingt ans de rap qu’on a derrière nous, les scènes qu’on a fait avec d’autres rappeurs. C’est aussi quand Rockin’ Squat (du groupe Assassin ndlr) partage nos clips ou encore lorsque Grems nous envoie un mot pour nous dire : « Bien le clip de Petite Souris« .

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Internet a changé ça ?

Bonbec : Oui, le rap s’est décentralisé. Internet a pété les réseaux. Nous on a tout misé là-dessus, c’est là que ça se passe. De cette façon, c’est le public qui décide et pas un programmateur. Avant on cherchait les tourneurs, les salles, les concerts, avec Kickblast, tout ça, on a décidé de zapper. Kickblast nous a permis de nous libérer et aujourd’hui ce sont les programmateurs qui nous demandent. On reçoit des mails de Bordeaux, Tours… pour venir jouer chez eux.
James Digger : Lorsqu’on est partis tourner le clip du morceau Johnny Est Mort, on est monté à Paris. Là, en une semaine on avait fait déjà pas mal de connexions. C’est sûr que ça va plus vite dans les grandes villes.
Bonbec : Après nous on vit ici, c’est cool et c’est ce qu’on est. On est pères de famille tous les deux et c’est ici que sont nos femmes et nos enfants. On pourrait pas partir comme ça et de toute façon on en a pas envie.

Vous jouez aussi de cette image-là ?

Bonbec : Non. On est fiers d’être bretons et pour te dire mon frère joue dans un bagad. Après c’est pas quelque chose que l’on met en avant. On parle musique là et le rap c’est quelque chose d’universel. Lorsqu’on a fait notre tournée en Chine, par exemple, on s’est rendu compte qu’eux avaient découvert le rap grâce à MTV. Pourtant ce n’est pas franchement leur culture mais il se trouve qu’il y a une demande du public au niveau du hip-hop là-bas. En France, des mecs de Marseille ou de Lille qui découvriraient le clip de Petite Souris sur Internet, ils voient juste une plage. Pour le morceau Pop Pop c’est pareil. Dedans les gens ils voient quoi ? Ils voient une rue, au pire, une petite maison en pierre en arrière-plan et c’est tout.

Vous avez tourné vos clips ici ?

James Digger : A la base, Petite Souris, c’est un titre qu’on a enregistré en même temps qu’on l’a tourné. On a fait ça à Plestin, parce que j’habite pas loin et qu’avec Bonbec on enregistre chez moi.
C’est nous qui faisons tout, comme ça on reste complètement indépendants. Pour Johnny Est Mort, on est montés sur Paris. Le tournage a duré deux semaines avec des planches scénarisées et tout, c’était long. Il y a un côté pratique à tourner nous-même, on fait ce qu’on veut.
Bonbec : Aujourd’hui on fait ce qu’on veut et surtout on fait ce qui nous ressemble. Dans la vie on aime bien se marrer, c’est pour ça qu’on a fait le morceau 2 Mètres Carré. Un jour on s’est dit : « Allez on fait un rap sur des chiottes merde !« . C’est aussi notre personnalité. On va dans plein de choses, on pète les codes tout en gardant un sens derrière tout ça. On est partis sur un rythme où pour l’instant, on balance un clip tout les trois mois pour faire monter le truc et voir si le public suit. Avec Kickblast, on prend notre temps.

« Il y a toujours quelque chose à écrire. »

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Ça fait quinze ans environ que vous faites du rap, vous-même, vous avez quel âge ?

Bonbec : 31 ans.
James Digger : 31 ans aussi.

Vous vivez de la musique aujourd’hui ?

Bonbec : Non, on a tous les deux un travail à côté. Moi par exemple, je fais des ateliers d’écriture, c’est ce qui me fait vivre. En plus avec James on est potes, alors on se voit régulièrement pour enregistrer. Le rap nous prend pas mal de temps.
James Digger : On se dit qu’un jour ça peut tomber. Mais pour l’instant on laisse venir, on veut voir si d’abord le public suit avant de chercher à sortir un album, ou chercher des dates, des tourneurs…
Bonbec :. Vivre de la musique, on y a cru un jour, au moment où on avait signé en label. Aujourd’hui ce qui est top c’est de se faire plaisir, sinon on cherche le fric et ça ne nous intéresse pas. Après notre tournée en Chine, on a évolué dans notre son. Il y a eu comme une remise à zéro, mais sans forcer le trait. James faisait déjà de l’électro avant de faire du hip-hop et ça se retrouvait déjà dans notre musique. Avec Kickblast, on a défini ce qu’on voulait au niveau du style, du flow, ensuite on a trouvé le logo avec la pompe et c’était parti. Mais ça reste quand même nous.

Ce n’est pas courant d’entendre des discours de rappeurs et pères de familles qui assument leur situation. Je pense à Triptik aussi qui en parle dans son dernier EP…

Bonbec : … Et encore Triptik c’est : « Papa sera pas là ce soir parce qu’il a trop picolé« . C’est sûr aujourd’hui, on arrive à un âge où la musique et ce qu’on vit sont en train de se rencontrer. C’est pour ça qu’on peut toujours rapper, encore aujourd’hui.

Arrivé à un certain âge, souvent le propos des rappeurs s’assagit, qu’est-ce qu’on raconte après plus de quinze ans de musique derrière soi ?

Bonbec : Ecrire au début pour moi c’était une douleur. C’est en grandissant que c’est devenu un plaisir. Tous les jours j’écris. Entre ce que je racontais lorsque j’avais vingt piges et ce que je raconte aujourd’hui à 31 ans, les choses ont évolué. Moi aujourd’hui je suis un peu dégoûté. Je suis heureux dans ma vie personnelle mais l’humain m’exaspère. Ça me bouffe, comme la colonisation masquée par exemple. J’ai cité une fois Dieu dans un de mes textes, c’était une erreur, aujourd’hui je la regrette et je ne refais pas la même. Tu sais qui tu es et en grandissant le propos s’ouvre. On trouve toujours quelque chose qui est source de rage et qui nous sert. Il y a toujours quelque chose à écrire.

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