En cette deuxième soirée, le set de Lugano Fell, aka James Taylor IRL et membre du duo Swayzak, résonne déja quand j’arrive dans la Carrière. La luminosité baisse, la température se rafraîchit, le fond de l’air est joyeux et le vent porte une musique particulière à décrire…
Lugano Fell, qui présente ici son premier live en vue de la sortie de son album Arcxicon, oeuvre dans l’ambient – le style musical, j’entends. Or, il est un peu compliqué de profiter réellement de ce genre quand on est pas seul dans la pièce… Disons tout de suite que ce n’est pas de la musique qui vous fera sauter en l’air, mais plutôt du genre qu’on apprécie les yeux fermés, dans le silence absolu. Si en plus vous aimez être surpris par toute nouvelle intervention divine dans l’extension continuelle de sonorité qu’on appelle musique, alors vous saurez tout de suite à quoi vous avez affaire.
En live, j’avoue m’être plutôt demandé quelle était la différence entre ce disque, que le DJ vient de lancer, et le précédent. Ensuite, quand j’ai pris le temps d’écouter chez moi son premier album, Slice Repair, je me suis mieux retrouvé dans le genre et ai pu me laisser emporter par l’ambiance.
En y repensant, était-ce un rodage nécessaire ou une expérience malheureuse ? Je pense en fin de compte qu’on appréciera naturellement le live en sachant reconnaitre la patte de l’artiste. Et si l’activité autour de vous est réduite au minimum..
Mais revenons à la Carrière : déjà la nuit tombe, seulement cinquante mètres à faire pour prendre place devant la scène, sur laquelle apparaissent Mondkopf et Charlemagne Palestine, une grande table et le piano à queue resté là depuis la veille. Devant la table, une valise de peluches qui donne un ton quelque peu burtonien, soulignée par un jeu de lumières voulant offrir une atmosphère un peu passée, un peu irréelle à la scène.
Pour cette performance, Mondkopf s’occupera des sons électroniques ; Charlemagne, quant à lui, dirigera la section… bizarre, si vous me permettez l’emploi de ce terme. Mais laissez-moi tenter de vous présenter le rendu.
Tandis que Mondkopf instaure quelques nappes sonores, Charlemagne approche d’un micro, dont le chorus (ou un effet de résonnance si vous préférez) est au maximum, un verre en cristal à demi rempli de Jack Daniels (demandé spécifiquement avant le début du show, détail qui aura son importance par la suite). Vous voyez tout de suite où l’on veut en venir : il va s’agir de faire résonner le crystal dans un motif très lent et mystérieux, enrichi de-ci de-là par les chuchotements du performer, eux-même étirés par le chorus susnommé.
Globalement, le spectacle joue sur la répétition incessante de ces deux notes – la résonnance du crystal et la nappe sonore – ce qui dans un premier temps peut laisser perplexe. Il n’y a que les intensités qui changent. Du moins pendant la première partie du spectacle. En effet, après environ vingt minutes, Charlemagne repose son verre et va prendre place derrière le piano.
Et encore une fois, on va assister au jeu des intensités, car du piano ne résonneront que deux notes alternées doucement d’abord, puis martelées, puis passées à l’accord et on va assister à un déchainement qui n’aura finalement plus grand-chose d’humain, le visage de Charlemagne Palestine muant peu à peu vers celui d’un démon issu d’un conte pour enfant, rougi par les lumières, l’effort et la rage ! Je ne sais plus à partir de quel moment Mondkopf fit résonner un bit puissant et résonnant, dont les basses faisaient trembler la scène, mais là, on se trouvait tout simplement au coeur du déluge, qui durait, qui durait et durait jusqu’à ce que finalement les évènements recommencent à se calmer puis à s’étirer, puis à s’assoupir… Avant de s’emporter de nouveau !
Au bout d’un moment que l’on ne pouvait simplement pas mesurer, le pianiste américain se releva, retourna à la table, repris son verre et s’exécuta de nouveau à le faire résonner en chuchotant… Jusqu’à ce que tout se tasse complètement… La tempête était passé et j’étais juste complètement subjugué. Les deux artistes avaient, en l’espace d’une heure et quart, reproduit une véritable tempête, comme si on avait même assisté à la naissance d’une tornade, son chemin, son objectif et sa dissipation dans un murmure… Les dégâts en moins…
Le rapport avec les poupées ? Peut-être le coté surhumain. Le rapport avec le Jack Daniels ? Finalement, peut-être aucun, mais je pense que Charlemagne a été satisfait que cela soit le contenu du verre pour le requinquer après l’effort…
Même pas le temps d’arriver au bar que déja Arandel et Gabriel Desplanque mettent leurs machines en marche, au milieu de l’eau et de l’obscurité. Le mix accompagne un film projeté à travers la Carrière, qui a été réalisé sur place depuis quelques jours par les deux artistes. Quand je dis sur place, j’extrapole un peu, ça a été fait par là, quoi. Et ce film, il est difficile à interpréter…
Dans un premier temps, quand on suit une femme qui court dans la forêt, on croit qu’il va s’agir d’une narration : un début, une fin, un évenement, un dénouement, un fil logique, une histoire en fait. Sauf que ce ne sera pas aussi simple, on aura également des plans fixes, puis des jeux de retour en arrière, puis on ravance, puis on recule, puis on ravance… Je suis désolé, je suis pas un critique cinématographique, et pour être honnête, j’ai été à coté de la plaque sur une bonne partie du film, ce qui m’a également empêché d’apprécier la musique.
A la fin, il reste une esthétique, mais comment raconter une esthétique ? D’autant plus quand on ne la comprend pas ? Le moral en prend un coup, mais certaines oeuvres échappent au jugement.
Là-dessus, et bien que les concerts soient terminés pour ce soir, la soirée ne l’est pas pour autant, c’est encore une fois devant le bar que l’on se retrouve pour partager nos émotions, ou alors dans une partie de PacMan, version revue et corrigée pour jouer à deux à travers la Carrière. Et on pronostique sur les concerts du lendemain.
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Photos : 1 et 3 © Felix Roumagnac, 2 © Lisa Boissoles et Jean-Marie Deltort-Linotte