Dans la préface du livre d’Olivier Cachin, 100 albums essentiels du rap (Scali, 2006), Joey Starr rapportait » le hip-hop est un peu comme un coeur qui bat « . Le rappeur, proche du groupe Afro Jazz, – après lui avoir proposé de faire les premières parties de NTM sur scène, il a aussi produit le premier maxi du groupe Perle Noire (Island, 1996) – faisait ici référence au titre Le Sacerdoce, sur lequel Jaeyez scandait de façon presque martiale :
» Ce boom boom bah, c’est un peu comme mon coeur qui bat ! « . Présente sur l’album Afrocalypse, cette rime réussit à résumer l’esprit de ce disque, assez éloigné des productions hexagonales des années 1990 mais bel et bien trempé dans une forte identité hip-hop. Une identité qui va chercher ses références à la source.
Poussée par les médias, l’intérêt pour le rap en France durant la décennie va s’accélérer avec une trentaine de sorties annuelles en moyenne et des succès comme Qui sème le vent récolte le tempo de MC Solaar (Polydor, 1993), Ombre est lumière de IAM (EMI, 1993)… Suivront ensuite les albums de NTM, du Minister AMER, La Cliqua, Doc Gyneco, Fabe, La Brigade, Oxmo Puccino… Conduit par ces nouveaux chefs de file, le rap en France continue alors d’écrire son histoire en s’alignant sur son propre modèle et en se réinventant à chaque nouvelle sortie.
C’est dans tout ce foisonnement que déboule chez Island Records en 1997, Afrocalypse. Première signature d’un groupe hip-hop pour le label, le disque est emmené par Daddy Jokno, Robo et Jaeyez. A première vue, il suffit de jeter un rapide coup d’oeil sur la pochette de l’album pour déjà le distinguer du reste des productions publiées à l’époque. Les trois emcees, accompagnés pour l’occasion de leur acolyte DJ Clyde, posent au milieu des buildings, en tenues militaires et cigares à la main pour Daddy Jokno. Derrière eux, un hélicoptère est posé là, prêt à décoller. Tout un symbole.
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Avec cette imagerie empruntée au modèle américain, les parisiens donnent le ton et mettent en garde l’auditeur. Ce n’est pas du côté de la capitale qu’il faut se tourner lorsqu’on écoute Afro Jazz, mais bel et bien vers la côte Est des Etats-Unis. D’ailleurs Jaeyez l’affirme dans le morceau Sucker MC : » Haro sur le sucker qui voudrait le marquer de son sceau, celui qui voudrait construire sur nos fondations sans permission « . C’est d’ailleurs à New York que la formation s’est envolée pour enregistrer Afrocalypse.
17 titres énervés qui brassent des thématiques classiques comme la banlieue (La Téci), les femmes (Pénélope), le hip-hop (Strictly Hip Hop), l’égo-trip (Guerre Des Nerfs en featuring avec NTM), l’Etat (Parias vs Etat)… Mais là où la formation se distingue c’est par cette ambiance underground qu’elle entretient tout au long de l’album. On parlait d’énergie tout à l’heure, Afro Jazz va chercher dans sa musique ce qu’il y a de plus tribal pour le renvoyer à la face de son auditeur.
Sur chaque piste, les rappeurs gueulent à gorge déployée, back (reprennent une rime ou une mesure en même temps que le chanteurn, ndla) leurs camarades, usent et abusent de gimmicks et de cris presque bestiaux…
Tout ça contribue à renforcer l’authenticité du projet appuyé par des instrumentales impeccables signées par le D.I.T.C (Diggin In The Craves) crew. Car outre DJ Clyde, on retrouve à la production Buckwild, Diamond D et da Beatminerz. Les trois producteurs leur ont ainsi offert des perles d’instrus taillées sur mesure et qui sonnent définitivement cainri, jusqu’aux interludes très soignées.
Impossible alors de ne pas citer à nouveau le morceau Strictly Hip Hop enregistré avec la légende du Wu Tang Clan, Ol’ Dirty Bastard et qui donne à l’arrivée lui aussi un morceau de légende. Afro Jazz ne joue décidément pas dans la même cour que le reste des rappeurs en France. Les nombreuses références à l’afro-centrisme (« Le calibre de l’homme libre est chargé à noir » balance Daddy Jockno sur le morceau-titre Afrocalypse) ainsi qu’à la culture américaine le prouvent encore une fois. Si le berceau du rap reste bel et bien New York, Afro Jazz a été biberonné par ses deux papas hardcore que sont Public Enemy (encore une fois le treillis de Daddy Jockno sur la pochette) ou Onyx.
C’est peut-être d’ailleurs cet état d’esprit et cette vision du hip-hop qui ont fait qu’Afrocalypse n’a pas vraiment réussi à conquérir le public chez nous. Aujourd’hui le disque reste une référence régulièrement citée par les puristes et les amateurs de hip-hop. Si un troisième album a suivi, le départ de Daddy Jokno après la sortie d’Afrocalypse a rapidement fait glisser le groupe vers sa fin.
Cependant, cette année (le 23 février plus exactement), on pourra assister à la reformation du groupe. Afro Jazz, désormais amputé de Robo, sera réuni sur la scène du Ferailleur de Nantes, à l’occasion de la 9e édition du festival Hipopsession.
01. Intro
02. Représente
03. Afrocalypse
04. La Téci
05. Guerre Des Nerfs feat. NTM & Papalu
06. Pénélope
07. Sucker MC feat. André » Doc «
08. Mystik feat. Macka
09. Interlude
10. Strictly Hip Hop feat. Ol’ Dirty Bastard
11. Parias vs Etat feat. La Loco
12. Pas Vu Pas Pris
13. You Can’t Stop feat. Big Red
14. Glou Glou Play
15. Le Sacerdoce
16. Phrasé
17. Outro
Facebook officiel de Daddy Jockno
Facebook officiel de Jaeyez
Ecouter l’album Afrocalypse sur Deezer