Dans les années 2000, l’explosion au grand jour des formations comme TTC, Svinkels, La Caution, Grems, Triptik ou encore Le Klub Des Loosers, qui rameuteront derrière eux toute cette nouvelle vague cataloguée de « rap spé », aura permis aux petits bourgeois (ou non d’ailleurs) de la capitale mais surtout aux provinciaux de s’émanciper de l’influence que représentait jusqu’ici l’axe Paris-Marseille.

En témoignent encore aujourd’hui les belles statuettes glanées par Hocus Pocus, Orelsan et C2C aux Victoires de La Musique, sans compter les sélections dans les festivals prestigieux, les concerts affichant complet ainsi que les disques d’or et de platine qui viennent compléter le tableau. Leur point commun ? Tous viennent du « trou du cul du monde ». Le terrain médiatique à présent préparé, il était donc logique que les observateurs s’attaquent à la chose en documentant le phénomène et en fixant sa mémoire sur un support quelconque .

Dans les Pays de la Loire, la première salve vient tout juste de paraître aux éditions La Reinette (dont le siège est basé au Mans) sous le nom de Certifié(e)s hip hop. Son auteur, Étienne Kervella (coordinateur socio-culturel à la MJC Ronceray – L’Alambik au pays des 24h du Mans), en profite pour tirer ici le portrait de 55 personnalités ou entités impliquées dans le mouvement hip hop (danseurs, graffeurs, rappeurs, beatmakers, deejays…), grappillés ici et là dans les les cinq départements qui composent la région : Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe et Vendée.

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Dans l’une des cinq préfaces qui introduisent l’ouvrage, c’est d’ailleurs le romancier urbain et ancien critique Karim Madani qui frappe le premier en lançant et reprenant cette idée : « Il est loin le temps où tout se jouait dans la capitale et où les rappeurs parisiens raillaient les régionalismes et autres particularismes. C’est de la province que nous vient le meilleur du hip hop (demandez à des artistes comme Hocus Pocus, Lucio Bukowski ou Orelsan), sous la forme la plus originale et originelle, celle des débuts, bien avant que le business et l’argent n’étouffent une partie de sa vitalité« .
La sentence fait saliver. Et faire légitimer son entreprise par la plume de Karim Madani était une bonne idée lorsque l’on connait le goût inconditionnel de ce dernier pour la culture urbaine et ses choix musicaux toujours impeccables. Surtout que derrière, l’auteur a de quoi dérouler normalement. Rien qu’en Pays de la Loire, la région a révélé ces dernières années deux des formations les plus bankables du moment : Hocus Pocus et C2C (pour rappel, la moitié d’Hocus Pocus compose aussi la moitié du quatuor de deejays C2C).

Bien sûr, Étienne Kervella ne les a pas oublié. Des choix ont dû être faits et à la lecture de cet ouvrage, l’auteur, qui se place du côté des valeurs fondamentales du hip-hop : partage, respect, peace, love, unity… a de fait orienté son travail. Le résultat : une belle photographie  de ce qu’est le hip hop dans cette région de la France en plus de relater une partie de son histoire. Toutes les figures locales, poids lourds et groupuscules historiques sont ici représentés : DJ Moar, Prince Da, Persu, Web’s, Pick Up Production, Dajanem, Nouvel R, Humanist, Cowboyz crew, Shanky, Urbano Festival … Pourtant la liste aurait pu être rallongée. On peut regretter l’orientation prise par l’auteur et les choix opérés dans sa sélection, de la même façon qu’on peut regretter le vide laissé par ceux qui n’ont pas voulu apparaître dans le livre. En se limitant au cas du rap, on aurait aimé retrouver la jeune génération : Lowschool, Kéroué et Vidji, des formations 5 Majeurs, Fixpen Sill, Super Temple Sound… ceux plus underground et néanmoins durable : Le Dispositif, Le Touareg, Deez, Kenyon, Alakyn 

Tout se résume dans les choix (difficiles) opérés. Mais l’entreprise est trop honnête pour que cette observation puisse entacher le plaisir de la lecture. En revanche, il aurait été appréciable que les portraits soient plus étoffés et que la mise en image relève d’un peu plus d’originalité. Le jeune narrateur fait ici le taff, toutes les informations sont là, mais l’écriture manque fortement de passion et certaines formules et chutes tombent souvent à l’eau. Comment peut-on se limiter à simplement relater le « CV » d’un gars comme Persu, tant la personnalité du graffeur est singulière et mériterait à elle seule, tout un chapitre de ce livre ?

certifie-e-s-hip-hop-de-etienne-kervella-aqua-toffana-938340398_MLCette histoire du hip hop en région est tellement riche qu’elle aurait pu être racontée différemment, c’est sûr. Encore une fois, le choix d’Étienne Kervella fut de laisser la place à certains des acteurs directs du mouvement. Mais ce travail devait être fait et le jeune homme s’en sort avec les honneurs.
Si Certifié(e)s hip hop, malgré tous ses petits défauts, constitue une photographie « proprette » du mouvement hip hop en Pays de la Loire, il reste néanmoins un document utile pour cette culture. D’une part pour la mise en lumière qu’Étienne Kervella offre aujourd’hui sans retenue à tous ces noms plus ou moins anonymes et d’autre part pour la mémoire collective. Voilà un document fondateur qui mérite d’être imité.

Photo : DJ Moar, une des figures historiques de la culture hip hop en Pays de la Loire :  « DJ Moar est simplement à Nantes, ce que Dee Nasty est à Paris. » – Étienne Kervella.

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Étienne Kervella était de passage chez la radio nantaise Prun’
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Bonus : Le Dispositif feat 35 MC’s de l’Ouest