Il faudrait que l’on arrête définitivement de présenter ce groupe. Parce qu’il ne mérite plus d’être présenté, parce que les types ont assez fait leurs preuves pour éviter les longues introductions sur leurs origines, leurs styles, leurs intentions. Est-ce que l’on présente encore les grands du monde de la musique ?
Odezenne, c’est le grand de la musique qui ne bénéficie pas de la diffusion à la hauteur de son talent. Le Alain Bashung de la prose rythmée que la France vénérera quand il sera mort. Et c’est bien triste. C’est bien triste parce qu’ils ne sont pas près de mourir. Alix, Jaco, et les compères de ces derniers, sont revenus en mai 2014 pour un EP de cinq titres, après avoir pondu Sans Chantilly (2008) et O.V.N.I (2011).
Avant de poser des mots sur le skeud, j’aimerais en placer une pour les voix. Que ce soit Alix ou Jaco, les deux bonshommes ont une voix qui les différencie largement du reste. Le ronronnement agréable d’une voiture au démarrage dont on sait qu’elle en a sous le capot, une ironie, une distanciation impeccable qui teintent le grain. Et lorsqu’il s’agit d’être plus sérieux, une profondeur touchante qui retourne les entrailles. Odezenne, c’est d’abord ça : un son vocal qui donne déjà un jeu de cartes facilitant la victoire. Mais si ce n’était que ça, si ce n’était qu’une chorale que l’on aime à entendre parce que la voix est un atout, cela ne serait qu’un mélancolique match nul. Un vernis qui tapisserait l’épaisse médiocrité du texte. Et pourtant…
Et pourtant on est loin de ça, loin d’un texte facile qui ne sert pas l’organe. Non, Odezenne, ce sont des textes dont la poésie rivalise sans concession avec les plus beaux poèmes que l’on a déjà dans la tête, que l’on a déjà entendus. Les jeux de mots calibrés, le vocabulaire aiguisé, qui donnent envie de chercher dans le dictionnaire, les images parfaitement présentées, peintes avec la précision du sniper dans la neige. On a envie que ces types nous racontent des histoires, encore et encore, jusqu’à ce que l’histoire se mêle au rêve et que l’ensemble nous apaise dans une fantastique épopée. Dans la violence ou la douceur, Odezenne sait écrire. Dans la noirceur ou la lumière, c’est apaisant. Et c’est beau.
Si je m’emballe dans ce lyrisme, c’est parce que Odezenne m’a emballé dans le sien. Ce dernier EP le certifie encore.
La balade commence par la faussement énervé Rien, titre éponyme, premier single sorti et premier clip aussi. Ici, on sent que la partie vocale est posée sur une instrumentation hypnotique. Des piliers au milieu d’un tourbillon. Bitch Motherfucker résonne entre Je t’aime… Plus et Tu n’es rien… Pour moi. Dans ce refrain peu accueillant, se lance le chant, presque paresseux, lent mais entraînant, sur des thèmes pourtant plus optimistes mettant donc en paradoxe et en parallèle le duo couplet/refrain. On pourrait croire que l’on y parle d’une femme, qu’il est bon d’avoir laissée. Une femme que l’on ne regrette pas ou du moins, que l’on pense ne pas regretter. Voilà pourquoi le Bitch Motherfucker laisse quand même paraître une aigreur qui relève de la pulsion. L’insulte que l’on a pas pu s’empêcher de retenir, malgré tout. Le faux sourire mais le sourire quand même. En fin de course, les instruments s’emballent un peu, une guitare naît au milieu des sons et achève le tout en se traînant longuement sur le sol.
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On enchaîne avec Chimpanzé, un éclair de vie, deux minutes trente-six qui commencent calmement. Quelques arpèges mélodiques mais timides qui se font rejoindre périodiquement par des nappes de sons dont les arrivées se font crescendo. Se rajoute la voix et le tout monte, la rythmique s’installe et explose. A nouveau le tourbillon instrumental qui emporte cette fois-ci l’ensemble des présences. Le chant s’élève, postillonne, déblatère, établit une nouvelle fois de nombreux paradoxes et nous révèle enfin :
Je ne suis pas niais, je suis nié car j’crache à la gueule des mecs sur les billets.
Très bien, on retient la leçon, on entend. Entre le coup de gueule irrépressible et la simple envie de s’exprimer le temps d’une chanson, fais-toi plaisir : la tribune est faîte pour ça.
Débarque alors Je veux te baiser, le titre un peu controversé de l’EP. Et je vais vous dire pourquoi. Premièrement, il s’agit du deuxième single accompagné, comme pour le premier, d’un clip. Ainsi, le produit se retrouvant sur le large communiquant Youtube a laissé place, dans les commentaires, à la furie des idiots, trolls en chef chez StupideMagazine. Évidemment.
Alors voilà, Je veux te baiser est une chanson d’amour crue et fougueuse incomprise, soutenue par un magnifique sample du générique de la série Twin Peaks (1990) réalisé par David Lynch et Mark Frost. Sont-ils ironiques ou non lorsqu’ils affirment qu’il s’agit d’une réelle chanson d’amour ? Sont-ils conscients que les paroles et la métaphore filée qu’elle engendre sont d’une grande faiblesse ? Est-ce que tout cela est une blague ? J’ai envie de dire qu’on s’en fout. Les réponses à ces questions, c’est du superflu. Il y a du génie dans tout ça.
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Deuxièmement donc, sampler Twin Peaks, chose qui est déjà beaucoup pour mon petit cœur de fanboy, donne la tonalité du single. Déjà, parce que le refrain est tout ce que l’on envie de faire à Laura Palmer, cette héroïne morte et omniprésente. L’idéal féminin de la garce torturée qui ne donne qu’une envie : redevenir un animal. Ensuite parce que de ce fait, la chanson assouvit un désir irréalisable, celui de dire à cette femme l’amour sauvage que l’on ressent pour elle mais aussi et surtout d’entendre sa réponse. Brutale et coquine, orientée vers un champ lexical sur la route, la circulation, les panneaux de signalisation, bref, autant de concepts présents dans l’œuvre de Lynch. Et puis on confond facilement le kitsch de la série avec le kitsch que présente le texte et la musique. Faire ça, c’est assumer jusqu’au bout la référence. Comme le prouve également le clip.
Cette chanson, c’est la chanson de l’EP. Certes, la finesse et la mélodie des mots ne sont pas aussi travaillées que pour les autres titres – bien que – mais le maître des lieux n’a que faire de cette volupté, il veut du cul, du sexe et du plaisir rapidement, sans engagement.
Make it wit chu
Il y a des chansons qui incarnent parfaitement l’immatériel et l’impalpable. C’est le cas de Novembre qui, avec son beat léger, ses arpèges discrets mais nécessaires, sa poésie révoltée et révoltante, annonce le morceau le mieux écrit de l’EP. Ici, toute la classe et l’aspect visionnaire d’Odezenne s’offrent à nous. Séance chamanique et transcendante autour d’un feu. La colère d’un système handicapé y crépite mais jamais ne surpasse la carrure. Et puis il y a une certaine pertinence à avoir donné ce mois comme titre. L’aura de Novembre dégage la fraîcheur désagréable des matinées gelées et le deuil définitif des beaux jours. Tout est dit.
On termine donc avec Dieu était grand. Une introduction en fanfare telle une bande-son que l’on accole souvent aux Big Boss du dernier niveau. Le ton est plus agressif, les paroles aussi, l’attaque est violente, tranchante. Vient se heurter par vagues une disposition musicale plus sobre, plus planante, avec des voix appelant le divin. Et le divin répondra dans un final qui se déchaînera enfin pour terminer sur une note tempétueuse, le vent soufflant pour balayer tout ce qui a pu être dit. Et ça monte, ça monte de plus en plus, ça atteint des sommets inaccessibles pour finir sec. Aussitôt dit, aussitôt fait. Sur la pointe des montagnes dangereuses.
Loin d’être fébrile, l’EP d’Odezenne est un EP fouillé qui navigue entre les ambiances et les couleurs, tantôt pessimistes, tantôt lumineuses. Les nuances sont travaillées et les partitions précises. Il ne se place pas dans la lignée de ses prédécesseurs, il redistribue les données. Il nous explique que rien n’est acquis et que le changement est perpétuel. Pourtant Odezenne reste ce qu’il est, un groupe ambitieux et talentueux qui remet la poésie à sa juste place et la musique en tension avec cette dernière. On reconnaîtrait l’origine de la moindre note et c’est surtout ça qui fait de ce groupe un grand groupe.
- Rien
- Chimpanzé
- Je veux te baiser
- Novembre
- Dieu était grand
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Un commentaire
Le meilleur article que j’ai pu lire jusqu’à présent sur Odezenne