La sortie de The Endless River ne sera pas passée inaperçue. Forcément, lorsqu’un des rares groupes rescapés des légendes du rock des années soixante sort un album, 47 ans après le premier du genre, on peut s’attendre à ce que l’onde de choc soit non négligeable. Avec cet album, Pink Floyd referme donc une page du rock qui aura duré presque cinquante ans. Cinquante ans ? Vraiment ? Plutôt qu’une chronique parmi les autres, j’avais plutôt envie de tenter une rétro d’un de mes groupes favoris, qui a fortement influencé ma culture musicale, et qui, quand je l’écoute encore aujourd’hui, provoque une irrésistible et incontrôlable montée de frissons.
Plutôt que de viser une approche exhaustive, et d’une certaine façon wikipédiesque, je vous propose donc une rétro personnelle, forcément, qui se conclura vraisemblablement sur un point de vue pas du tout objectif sur le dernier opus mentionné plus haut. Mais tout d’abord, qui sont les Pink Floyd ? Le groupe à l’origine est créé par Syd Barrett, qui compose, écrit, et chante les premières chansons du groupe. Amis d’enfance de la région de Cambridge, en Angleterre, l’ensemble des membres (actuels et futurs) se croisent autour d’aventures plus ou moins réussies à partir du début des années 60. Avec Richard Wright aux claviers, Roger Waters à la basse, et Nick Manson aux percussions, les premiers titres du groupe composés par Syd Barrett sortent entre 1967 et 68, et se nomment Interstellar Overdrive, Arnold Lane, ou encore See Emily Play.
Résolument psychédéliques, ces premiers titres définissent clairement le son de l’époque, avec des harmonies vocales empruntées aux Beatles, mais surtout un ensemble musical nappé par les synthétiseurs de Richard Wright, sans doute parmi les premiers du genre. Le groupe se forge déjà une imagerie en accompagnant ses premiers morceaux de bravoure par des clips pour le moins mystiques. Le premier album, The Piper At The Gates Of Dawn sort en 1967. Il est suivi, entre autres, d’une tournée qui accompagne un certain Jimi Hendricks. La légende est née, ou presque…
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En 1968, le succès presque fulgurant, et tout simplement l’époque, ont raison de Syd Barrett. Sa consommation sans doute peu raisonnable de LSD font qu’il n’est plus capable ni d’assurer la scène avec le reste du groupe, ni de composer. C’est alors que David Gilmour est appelé en renfort. Il apporte sa Stratocaster et des solos déjà magiques. Le groupe sera donc composé de cinq membres un court moment, jusqu’à ce que Syd se retire définitivement. Il ne fait que participer au second album, A Saucerful of Secrets. Ce dernier comprend à peine sept titres, dont l’éponyme qui dure la bagatelle de presque douze minutes. Ces morceaux stratosphériques forgent la marque de fabrique du groupe et culmineront quelques années plus tard avec Meddle, album-morceau unique…
Au milieu du chaos social, psychédélique, teinté de drogues en tous genres, cette période est aussi l’apogée des Hendricks, Joplin, Doors… et autres membres du triste club des vingt-sept. En pleine guerre du Vietnam, les Pink Floyd sont étonnamment peu engagés, du moins pas ouvertement, et se consacrent à développer une musique de plus en plus conceptuelle. Au départ de Syd Barrett, Roger Waters a repris la plume et impose lentement son style. Cependant, les albums suivants seront composés de morceaux écrits ou co-écrits par plusieurs membres du groupe. Chaque titre adopte un style propre à son auteur. A cette époque sort More, album suivi de la sortie d’un film-clip. Cette ode psychédélique à un ensemble de substances peu recommandables, tournée aux Baléares, est célèbre tant pour ses couleurs criardes, ses effets visuels, que pour ses moulins à vent. Ainsi, entre 69 et 72 se succéderont cinq albums – un par an ! -, dont l’excellent Meddle.
Si ces opus laissent la part belle à de longues plages instrumentales, soulignées par les solos de guitares aériens de David Gilmour et les nappes de Nick Mason, le chant de Roger Waters prend de plus en plus de place. Gilmour s’essaye également à la composition et au chant. Le côté psychédélique s’efface lentement au profit d’albums plus conceptuels, cohérents et thématiques. Waters impose sa patte au groupe et le conduit au succès. On retiendra de cette époque l’incroyable Live at Pompeï, filmé en 1972, sans public, dans les arènes de la cité antique, alternant longs plans-séquences et montages pour le moins hachés. Cette performance, quasi-exclusivement instrumentale, montre le travail de l’ensemble des musiciens, et notamment de la batterie, pas du tout minimaliste. On y voit également comment les musiciens vivent cette musique qui est en passe de connaître son apogée.
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1973 marque l’histoire du rock d’une pierre blanche nommée The Dark Side Of The Moon. C’est l’un des albums universellement reconnu comme les plus aboutis du groupe. Il aborde pour la première fois des thèmes forts qui transpirent les maux à venir de la société : le temps (Time), l’argent (Money), la folie (Brain Damage)… Il porte résolument la marque de Roger Waters, notamment l’incontournable Money, dont l’intro à la basse est reconnaissable entre toutes. Emblème de son époque, les textes sont plus travaillés qu’auparavant, planants lorsque Gilmour est à la manœuvre, plus torturés lorsque Waters écrit. Le groupe adopte un style plus atmosphérique que psyché et finit ainsi de créer un style propre.
C’est réellement l’apogée de leur carrière, mais selon moi pas le meilleur album du groupe. Côté technique, c’est un des premiers albums enregistrés en quadriphonie (en partie aux studios d’Abbey Road, excusez du peu) et mixé par un certain Alan Parsons, qui deviendra insensiblement le cinquième membre du groupe. Essayez de l’écouter dans un véritable auditorium et vous comprendrez mieux pourquoi cet album a une puissance incroyable. Les performances scéniques du groupe à cette période consistent à jouer l’ensemble de l’album d’une traite, la scénographie est pour le moment rudimentaire mais tend à préfigurer les futures performances.
Deux ans plus tard, Pink Floyd sort l’album Wish You Were Here, qui s’ouvre sur Shine On You Crazy Diamond, hommage à Syd Barrett. Plus commercial que son prédecesseur, il connait apparemment un succès immédiat. Les morceaux sont clairement moins expérimentaux que ceux de The Dark Side Of The Moon et sont de fait plus accessibles. Ils n’en sont pour autant pas moins construits. L’album ne comprend d’ailleurs que cinq titres, dont les deux parties de Shine On You Crazy Diamond et le mythique Wish You Were Here (vous avez forcément un pote guitariste qui l’a massacré copieusement un soir de fête). Alors que des tensions apparaissent dans le groupe, Wish You Were Here reste un album intimiste, où plane la présence de Syd Barrett, et qui en fait un des plus abordables du groupe.
Animals, en 1977, poursuit cette tendance, avec une dominante nettement plus rock et une guitare omniprésente. L’album est écrit en réaction aux critiques issues du mouvement punk, qui trouvent que Pink Floyd incarne la décadence bourgeoise du rock. Animals est la poursuite d’une vive critique du système – inspirée du livre La Ferme des Animaux, d’Orwell – déjà amorcée dans l’album précédent. C’est désormais une habitude, l’enchaînement des titres aux noms d’animaux compose une histoire. Si, par rapport aux deux opus précédents, Animals n’est pas une pièce maîtresse de la discographie du groupe, il est dans la continuité de ses prédécesseurs tout en préfigurant clairement The Wall, qui sortira en 1979.
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Avec la sortie de The Wall, Pink Floyd inscrit définitivement son nom au panthéon musical. Virulente critique de la société, de l’aliénation et, en un sens, de la propre aura médiatique du groupe, The Wall est immédiatement adopté par les mouvements contestataires sur le retour, dix ans après 68. The Wall raconte la vie de Pink, au père mort durant la guerre, à la mère abusive, et qui deviendra néanmoins une star du rock, torturée, emprisonnée dans une spirale décadente. L’enfermement et l’aliénation sont les thématiques majeures de l’album : famille, société, éducation, succès, pour aboutir au final à la folie. Waters est définitivement aux commandes sur cet album jusqu’à exclure Rick Wright lors de l’enregistrement. Le résultat n’en n’est pas moins mythique, avec notamment Another Brick In The Wall qui deviendra l’hymne d’une génération déçue par Mai 68, mais aussi au-delà.
La tournée qui suit la sortie de l’album est monumentale, et demande une telle logistique que seules quatre dates auront effectivement lieu. Waters incarne Pink tout au long du concert, dont la setlist suit scrupuleusement l’album. Durant toute la première partie, un mur est construit sur la scène qui enferme les musiciens et les rend complètement invisibles au public au milieu du concert, après Goodbye Cruel World. Le public n’a plus qu’à admirer ce mur blanc pour le reste du concert, jusqu’à ce qu’il soit détruit plus d’une heure plus tard. Si la performance ne sera jamais égalée, ou de manière très ponctuelle comme en 1988 lors du concert à haute valeur symbolique de Roger Waters sur la Postdamer Platz à Berlin, elle est accueillie plutôt froidement car trop conceptuelle.
En 1982 sort le film éponyme dirigé par Alan Parker, avec Bob Geldof en Pink. Modèle du genre, il mêle tournage classique et animations. Assez dantesque, Geldof incarne son personnage jusqu’à refuser d’arrêter une scène alors qu’il est effectivement blessé. Mais la dictature imposée par Waters signe le début de la fin.
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La suite de l’histoire du groupe dans sa formation classique se résumera en effet à l’album The Final Cut, sans grand intérêt, et qui porte malheureusement bien son nom. Après quelques années d’errance, Waters quitte le groupe en 1985 et conclut ainsi plus de 25 ans d’existence. S’ensuivront des années de guerre pour les droits de diffusion des titres du groupe, Waters refusant en général que l’oeuvre soit détricotée, notamment en concert.
Les membres du groupe continuent cependant leurs carrières respectives, sans pour autant retrouver la flamme de la formation qui les a consacrés. Waters d’un côté, en solo – reprenant le nom de Pink Floyd occasionnellement, sans pour autant retrouver la virtuosité de la guitare de son ancien compère – Gilmour, Mason, Wright de l’autre qui produiront d’autres albums qui n’auront jamais la patte de Waters. Ils ne se retrouveront sur scène que des années plus tard, à l’occasion du concert Live8 en 2005, mais le groupe ne se reformera jamais.
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On en vient ainsi à 2014, vingt ans après le dernier album officiel du « groupe » porté par David Gilmour, The Division Bell. The Endless River est un hommage à Richard Wright, mort en 2008, et compile des rushes captés lors de l’enregistrement de The Division Bell. Même si cet album devrait ravir les fans inconditionnels, il n’a guère d’intérêt que d’entériner le chant du cygne d’un groupe qui aura résolument marqué l’histoire de la musique moderne. Pourtant, malgré les nombreuses rumeurs et autres fantasmes ayant entouré la reformation du groupe, il me semble qu’on s’excite autour d’un cadavre mort et enterré depuis bien longtemps, et très précisément après la sortie de The Wall il y a 35 ans. En ce sens, The Wall marque à la fois la réalisation ultime du groupe, au sens propre et figuré, et ne sera jamais égalé dans sa dimension mystique et quasi-mythologique, ni par Pink Floyd, ni par aucun autre groupe. The Wall signe bel et bien la fin d’une époque et aurait dû achever la carrière du groupe.
Au final, il est plus que temps de réécouter les albums originels de Pink Floyd, ceux mentionnés ici, mais aussi les captations de concerts dont le trop rare enregistrement du concert de The Wall en 1980, Is There Anybody Out There?. Pour les fans de The Wall à tendance obsessionnelle dans mon genre, le film d’Alan Parker est toujours une valeur sûre, pas forcément pour emballer, mais qui incarne si bien la révolte sourde de toute une époque désenchantée. On peut retenir également le concert de célébration de la chute du Mur de Berlin, où Waters aura invité un nombre assez dément de noms de l’époque (Cindy Lauper, Sinead O’Connor) pour une interprétation très années 80 ! Celui-là ne plaira pas à tous pour ses variations quelque peu pop des morceaux de l’album. Enfin, l’incontournable Pulse, album live enregistré par Gilmour pour son ultime tournée sous le nom de Pink Floyd et dont la pochette du CD, affublée d’une led clignotante, aura hanté nombre de nuits d’adolescents rebelles.
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