Le 29 septembre dernier, Christine and the Queens était sur le plateau de l’émission Taratata et nous offrait une belle interprétation du morceau California de Mylène Farmer. La prestation est incarnée, à la fois fidèle à l’originale et pleine de créativité. Elle a surtout le mérite de mettre en lumière une ressemblance étonnante entre les deux artistes.
Le morceau commence de façon assez sobre, tout en retenue, puis les guitares lancent les hostilités et l’artiste se dévoile, la fois dans le jeu de scène et dans l’interprétation. La veste tombe, la voix s’envole, l’attitude s’affirme : « C’est sexy le ciel de Californie ». Le corps s’exhibe, la température monte, tout le monde commence à avoir chaud. Chris, alias Héloïse Letissier, se pose dans une attitude provocante et appelle le regard et le désir. Elle joue de son pouvoir de séduction mais aussi de sa force. Le public est ravi, la prestation se termine dans un tonnerre d’applaudissement. Le déroulé de la prestation est d’autant plus intéressant si on le compare au clip du morceau original.
Le clip de California, réalisé par Abel Ferrara en 1996 met en scène la dualité qu’on observe dans la prestation de Christine and the Queens. On suit à cette occasion, le destin des deux versions d’un même personnage incarné par Mylène Farmer. D’une part une femme aisée enfermée dans son milieu, d’autre part une prostituée dans un hôtel de passe. Extérieur nuit, Sunset Boulevard, les regards se croisent, déclic, l’une meurt, l’autre prend sa place et la venge. On retrouve cette interprétation en deux pôles opposés dans la prestation proposée par Chris. Le début tout en sobriété teintée d’une belle élégance laisse place à une attitude plus combative et provocante, portée par le désir et la sensualité.
On peut creuser un peu plus loin le parallèle. On retrouve chez Chris des éléments qui ont fondé l’imagerie de Mylène Farmer à ses débuts. Les similitudes artistiques sont nombreuses. La voix éthérée, plus dans le souffle que dans la puissance, les textes poétiques, souvent énigmatiques et une mise en scène très léchée de l’image de l’artiste. Un exemple frappant est le costard. Pendant la tournée Chaleur Humaine, il est le costume principal et fait partie de l’identité scénique de Christine and the Queens. Ce fut également un élément très présent dans la première tournée de Mylène Farmer qui s’est déroulée en 89. Le costume masculin faisait partie de la promotion du titre Sans Contrefaçon, et mettait en valeur la dimension androgyne de l’iconographie associée au morceau. On retrouve ce jeu autour du genre et de l’identité sexuelle dans les deux univers.
Mylène Farmer débute sa carrière comme actrice et rêve de percer dans le cinéma, Héloïse Letissier veut être metteur en scène, ce qui lui sera refusé car elle est une femme. La chanson va représenter un exutoire qui permet à chacune d’exprimer ses ambitions. La danse est très présente dans les shows de chacune et apporte une seconde lecture. Les chorégraphies amènent les deux artistes dans une dimension de performance. Elles sont toutes les deux auteur-compositeur-interprète, ce qu’on oublie souvent concernant Mylène Farmer.
Le parallèle le plus flagrant est sans doute l’impact du tournant américain chez les deux artistes. En effet, après l’échec commercial du film Giorgino, Mylène Farmer s’exile aux Etats-Unis, en Californie. Elle en revient en 1995 avec un nouvel album intitulé Anamorphosée, qui marque une coupure franche avec son univers précédent. Elle s’éloigne des clips sombres et des textes énigmatiques pour un univers lumineux et une écriture plus directe. On retrouve les thèmes habituels (sexualité, temps qui passe, perte de l’être aimé) mais leur mise en scène s’émancipe. L’artiste investit son corps et s’expose beaucoup plus. Elle dévoile une féminité plus assumée et plus sexualisée. Même si la première partie de sa carrière avait vu les clips de Libertine et Pourvu Qu’elles Soient Douces, ne laisser que peu de place à l’imagination, elle incarnait toujours une sensualité fragile, marquée par l’androgynie. Dans les deux clips sus-cités, elle est habillée en homme et les autres personnages s’interrogent sur son genre. A partir de 1995, Mylène Farmer va utiliser la féminité de façon plus franche et en faire une part importante de son identité scénique.
On observe un processus similaire dans l’image de Christine and the Queens. Le premier album et la première tournée mettaient en scène un personnage timide, habillé de façon androgyne, aux chansons composés seule dans une chambre. Pour l’album Chris, sorti en septembre 2018, Héloïse Letissier affiche une coupe courte (Mylène aussi s’était coupé les cheveux sur l’album Anamorphosée), des textes cashs, une attitude provocante et combative et un corps qui se montre tant dans les clips que sur scène. La sexualité est présente, l’artiste joue avec le désir qu’elle suscite et surfe sur une liberté nouvelle. On retrouve également l’imaginaire SM à travers les accessoires de cuir.
Ces points de ressemblance n’enlèvent rien à la créativité des deux artistes, et elles restent très différentes dans leur approche du genre et de la sexualité. Chris s’inscrit clairement dans le mouvement queer. A contrario, Mylène Farmer, toute icône gay qu’elle est, n’a jamais utilisé cet aspect de son image dans une perspective militante. La féminité que chacune d’elles revendique est très différente mais on y retrouve une certaine puissance voire une certaine violence. Chris a le mérite d’utiliser des codes visuels qu’on appréciait beaucoup chez Mylène Farmer, et qui ont fait son succès à ses débuts, pour en extraire le meilleur et les approfondir.
A priori la comparaison ne blessera pas l’artiste qui évoquait déjà Mylène Farmer en 2014 dans les pages de Télérama : « La Mylène Farmer des années 80 représentait un personnage de femme forte et libre. Elle avait de très bonnes chansons, assez audacieuses. Dans Libertine, il était quand même question du Chevalier d’Éon… Et puis, elle a vraiment été une pop star. La seule pop star femme de France. »
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